LIMINAIRE CSI 130

Notre tradition chrétienne est traversée par différents courants dont celui de la mystique, qui n’a d’ailleurs rien d’uniforme puisqu’au contraire, il se manifeste de manières diverses, fort riches et complexes. Chez nous encore, l’intérêt actuel pour la mystique s’est souvent déployé en fonction d’une expérience dite spirituelle, de caractère sublime et parfois étonnant. Quoi qu’il en soit de ses manifestations, la mystique s’est avérée constituer une certaine posture, voire – depuis les derniers siècles – un discours radicalement autre à l’intérieur même de notre tradition mais d’abord et surtout de l’institution.

Nous croyons que la tradition islamique porte aussi en elle cette instance qu’est la mystique et qui est susceptible de lui donner sa pleine stature. Cette stature procède notamment d’un sens critique appliqué aussi bien à sa propre tradition qu’aux divers discours sur le monde. Nous avons donc cherché ce témoignage et ce positionnement proprement mystiques dans l’islam. Le soufisme se présente ostensiblement avec des traits de ce genre. Il est, pourquoi pas, le désir qui fait et dit l’islam – comme on le dirait aussi bien des discours mystiques chrétiens. Alors comment le soufisme aménage-t-il l’accès à l’autre islam, celui qui dépasse l’islam des médias sensationnalistes et de l’imaginaire spontanément sacralisant ? En quoi la voie soufie constitue-t-elle précisément une posture mystique, et non simplement un discours religieux, dans l’islam ?

Espérant entendre un peu ce coeur qui fait battre l’islam, nous souhaitions ardemment pouvoir y reconnaître l’impulsion d’une expérience spirituelle autant que la réflexivité (auto-)critique qui lui donnent âme et corps, souffle et vie. Notre dossier ne montre peut-être pas encore assez clairement en quoi rien n’est plus critique que la foi saisie par sa racine même – sa racine mystique.
Mais cet appel pressant de la part du monde moderne, nous ne manquons pas de le ressentir également avec nos frères et soeurs musulmans. Car telle est, sans doute, notre vocation commune de croyants à l’heure actuelle.

Nous avons voulu donner la parole à des personnes musulmanes engagées dans la voie soufie. ZAKIA ZOUANAT nous présente globalement l’islam, en y dégageant la place et le rôle du soufisme aujourd’hui. KARIM BEN DRISS illustre brillamment le développement historique et spirituel du soufisme à travers trois de ses figures importantes, dont l’une féminine. MOHAMED JEDDY donne un aperçu de certains aménagements des pratiques soufies au cours des siècles et évoque la situation de la femme dans cette tradition particulière. Quant à SOUFIENE BEN MABROUK, il exemplifie l’interprétation dite soufie du Coran.

En raison de circonstances hors de notre contrôle, il n’est pas possible d’offrir la relecture prévue du Récit du pèlerin selon une perspective soufie. Nous y substituons donc une analyse de la prière islamique et de ses échos mystiques, analyse réalisée par JOHN RENARD, jésuite et spécialiste de l’islam.

Ça et là dans notre dossier, nous intercalons des prières et des invocations soufies, histoire de permettre à nos lectrices et lecteurs d’estimer par eux-même la qualité mystique de l’islam.

Enfin, dans une réflexion hors dossier, HITOSHI KAWANAKA aborde la question de l’inculturation des Exercices spirituels au Japon.

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Étienne Pouliot
Responsable de ce numéro