LIMINAIRE CSI 127

La maladie d’Alzheimer représente un tragique dépouillement, tant pour la personne atteinte que pour le proche parent qui en prend soin. Que reste-t-il de soi quand on perd ses capacités de penser avec toute sa tête et, en un sens, de tout son cœur ? Que reste-t-il d’autrui quand il n’en finit plus de perdre même ce qu’on croyait sauvegarder de son identité ?

Beaucoup se demandent, on le comprend, quel secours la vie spirituelle peut apporter dans pareil cas. Si les contributions à ce numéro témoignent de cet intérêt, un autre souci s’en dégage néanmoins. Elles signalent, tacitement parfois, la manière même dont la spiritualité peut encore émerger dans cette situation dramatique vécue par les personnes atteintes et leurs aidants. Ainsi, l’Alzheimer remet en question la possibilité de vivre raisonnablement, en étant habité des souvenirs qui font pleinement exister dans une histoire personnelle comme dans des sentiments proprement relationnels. Mais « de la spiritualité » se manifeste au creuset d’une telle expérience faite de trous de mémoire et de relations plus que difficilement sauvegardées. Entrer dans cette expérience, se retrouver dans ces conditions, c’est voir se dessiner la nuit Alzheimer, qui ne sera plus jamais le grand jour de la raison et du cœur. Or, aux confins de cette nuit se découvre, peut-être, l’exigence même de spiritualité qu’il nous tarde de reconnaître et de comprendre.

Sur cette problématique, nous souhaitons obtenir d’abord un éclairage à partir des sciences humaines. En sa qualité d’infirmière et de gérontologue, Marie Gendron expose différents aspects, tant physiologiques qu’humains, de la maladie d’Alzheimer ; elle nous sensibilise d’emblée au défi que représente cette maladie pour la science médicale et pour les personnes impliquées par cette situation. Raymond Lemieux y jette un regard sociologique et psychanalytique ; il expose une problématique de la mémoire au cœur de notre société et montre ainsi comment la maladie d’Alzheimer questionne autant qu’elle reflète notre existence humaine et sociale actuelle. Yves Rousseau illustre cette situation d’amnésie, personnelle ou collective, en fonction de quelques films récents sur le thème de l’Alzheimer. Quant à Éric Gagnon, il nous aide à saisir, d’un point de vue anthropologique, le chaos interpersonnel dont l’Alzheimer est l’occasion, à travers son analyse du récit d’un proche d’une personne atteinte.

Dans une perspective théologique et pastorale, Louis-Marie Chauvet centre son attention sur le défi relationnel au cœur de l’expérience de la maladie d’Alzheimer ; il en rend compte en fonction de sa conception de la pratique symbolique des sacrements. Isabelle Bisson explicite la conception holistique de l’être humain qui sous-tend son intervention pastorale professionnelle en milieu de santé et signale en quoi le soin spirituel auprès des personnes atteintes d’Alzheimer représente un désir de présence à l’autre « absent ». René-Claude Baud porte un regard ignatien sur l’accompagnement de ces personnes en contexte hospitalier ; il indique comment les Exercices spirituels peuvent éclairer et soutenir toute cette situation.

Enfin, Marie-Josée Poiré nous rapporte son échange avec Guy Lapointe et Marijke Desmet qui sont, comme elle, des aidants d’un proche parent atteint d’Alzheimer. Ils nous partagent leur questionnement et leurs soucis, leurs désolations et leurs consolations. Ils ouvrent, au cœur de cette expérience, des pistes pour une spiritualité autrement reconnue et vécue.

Histoire de prolonger la réflexion au terme de ce dossier sur la maladie d’Alzheimer et son impact sur la spiritualité, quelques pistes complémentaires de discussion sont soumises. On pourra les retrouver dans le nouveau Forum des Cahiers de spiritualité ignatienne, sur le site Internet du Centre Manrèse [www.centremanrese.org]. Nous y convions aussi bien notre lectorat que toute personne intéressée par le sujet.

Étienne Pouliot