LIMINAIRE CSI 124

Le monde ecclésial ou même religieux n’a plus le monopole de la vie spirituelle ni l’exclusivité à cet égard. La spiritualité fait désormais partie, souvent et explicitement, du discours de la laïcité – du discours de l’incroyant, de l’agnostique ou de l’athée, selon la manière que l’on choisit de qualifier la situation. La dissociation de la spiritualité et de la religion représente certainement, de nos jours, la voie maîtresse et la plus fréquentée pour traiter, de façon « nouvelle », de spiritualité. S’il est intéressant de savoir en quoi consiste – ou consisterait – une spiritualité sans religion, il convient d’aller plus loin en se demandant comment on met cela en place. Quel que soit le lieu ou l’horizon de chacun, comment pose-t-on cette possibilité d’une spiritualité sans religion ? Cela semble tout de même encore un grand défi, voire un tour d’adresse, de penser une spiritualité à l’écart de toute religion. Car ce n’est pas simplement l’affaire de retirer les clochers de nos églises, les statues de nos lieux publics, etc. Les lectrices et les lecteurs des Cahiers ne découvriront pas, dans ce numéro, une thèse générale qui présiderait aux réflexions des personnes sollicitées. Ce numéro a été préparé sans qu’aucune réponse unique et uniforme ne soit attendue. Chacun devra alors se faire une opinion personnelle quant aux contributions présentées pour éclairer cette problématique de la spiritualité sans religion. On parle beaucoup de spiritualité sans religion ou de spiritualité laïque. Il nous a semblé que cette problématique méritait un traitement à part, différente de celle concernant la spiritualité des personnes laïques en Église – qui fera l’objet du prochain colloque de Cahiers en avril 2009.

Les collaboratrices et collaborateurs à ce numéro aident à comprendre les contours et les conditions du discours non religieux sur la spiritualité. Le point de vue croyant sur cette question sera présenté avant celui des personnes immédiatement concernées pour bien rappeler l’impossibilité d’aborder pareille thématique de façon parfaitement neutre – compte tenu de l’horizon croyant des Cahiers. Ainsi, Jean-Guy Saint-Arnaud postule ni plus ni moins une vie spirituelle chez les athées, non sans exposer sa propre condition croyante comme étant toujours déjà affectée par une certaine forme d’athéisme. Catherine Beaudry réfléchit sur les défis de transformation des services de pastorale suite à la déconfessionnalisation de l’école québécoise; elle cible évidemment le défi de soutenir et donc de saisir la vie spirituelle à distance d’un cadre religieux. Jean-Yves Calvez présente la position « typique » du jésuite face à l’athéisme et à l’incroyance. La parole est ensuite donnée à des personnes qui ne se réclament d’aucun horizon religieux. Laurent Lavoie illustre sa conception de la spiritualité à travers un projet, hypothétique mais non moins évocateur, qui ne repose plus sur aucune institution traditionnelle ni sur aucune trace (historique et symbolique) des religions. Michel Virard stipule que la spiritualité, dont il clame l’effectivité, se réduit à la vie bioneurologique et permet de se positionner, d’une manière spéciale, dans l’existence. Enfin, André Fossion résume pour nous le propos d’André Comte-Sponville sur la spiritualité qui, chez ce dernier, exclut moins la condition religieuse elle-même que l’instance de la divinité ; cette analyse, à portée critique, expose un déplacement possible de toute la problématique en même temps qu’un arrimage, aux limites bien reconnues, des perspectives spirituelles de Comte-Sponville et du croyant. Avec ou sans religion, une spiritualité ne peut échapper à cette exigence proprement humaine de mettre à jour son rapport au monde et à soi-même. Réel défi. Véritable grâce. Mais certainement pas terrible châtiment.

Bonne lecture.

Étienne Pouliot