LIMINAIRE CSI 112 : Le travail : jardin ou prison?

Jardin ou prison ? Le travail engendre un perpétuel paradoxe ! Conduit-il à l'émancipation ou à l'asservissement de l'être humain ? Les articles qui suivent témoignent de l'effort permanent des hommes et des femmes pour surmonter ce paradoxe. La signification du travail oscille selon les intérêts : production, consommation, volonté de domination, appât du gain, réalisation de soi, appel à la libération des pauvres et des opprimés. À travers ces multiples tensions, l'humanisation du travail demeure un défi où l'éthique et la spiritualité ont plus que jamais une parole à développer.

Au Québec comme au Japon, les conditions du travail se sont transformées sans pour autant réussir à éliminer les contradictions. Jacques Racine, Jacques Grenier et Céline Roussin brossent un tableau de cette évolution : profits, compétions, travail au détriment de la personne, précarité de l'emploi, impacts psychologiques et spirituels. Au-delà de ces traits négatifs, ils reconnaissent dans le travail un lieu où se façonne l'identité personnelle et collective et se poursuit la croissance humaine et spirituelle. Ils y voient également l'espace où se vit avec le plus d'intensité notre condition d'« être-qui-cherche-la-vérité » (Michel Dion).

En affirmant que « l'être humain est fait pour le travail et non le travail pour l'être humain », Jean-Paul II rappelle le défi incessant de la primauté de la personne. C'est en ce sens que Michel Dion parle du passage de l'être productif à l'être contributif et de la personne humaine comme « être-avec-les-autres-et-devant-Dieu ». De là, pointe, dans bon nombre d'organisations, le désir grandissant d'intégrer les dimensions travail et spiritualité dans la vie personnelle et professionnelle. Virginie Lecourt, dans son écrit, s'arrête justement aux signes de l'émergence d'une spiritualité du travail, entre autres, chez les cadres et les dirigeants qui vivent de la spiritualité ignatienne.

Plus que jamais, la question écologique interpelle l'éthique et réclame un ajustement du discours théologique et biblique. On le sait, le développement à l'infini des ressources de l'écosystème mène à la menace écologique d'autodestruction de la planète. « L'activité humaine ne peut plus se rapporter à elle-même ou à l'individu seulement pour trouver sa règle », insiste André Beauchamp. Nous ne pouvons plus prétendre « dominer ou posséder la terre » sans la détruire. Un autre type de relation est appelé à se définir entre l'être humain et la « Terre Mère ». Danielle Thibaut, dans sa lecture de Genèse 2 et 3, regarde l'homme et la femme en tant que vivants, sujets de la parole et sujets « du sens » du travail. Capables d'une relation de transcendance avec les éléments de ce monde, ils sont responsables du jardin, selon le vouloir du Créateur. Hommes et femmes sont appelés « à travailler et à garder le jardin » et de là à trouver la fin de leur existence.

Humaniser le travail, « en faire un acte de parole du sujet », suppose alors de « discerner » la route de la libération du sujet humain. Ce discernement requiert un effort de prise de conscience et le courage d'aller à l'encontre, comme le souligne Alfred Ducharme, du « tout le monde le fait, fais-le donc.» Entrer dans cette voie implique la volonté de passer du désir à l'agir, nous dit Anne Fortin. Ce passage s'inscrit dans un temps de suspension, de silence et d' « indifférence », selon les mots d'Ignace, un temps qui rend possible l'engagement avec ses frères et sœurs sur la voie de l'humanisation.

Jardin ou prison ? C'est l'interrogation touchant le travail qui habite les pages de ce numéro des Cahiers. C'est notre vœu qu'elles contribuent, non pas à consolider les barreaux de la prison, mais à ouvrir bien grandes les portes du jardin !

Gaétane Guillemette